Morote, le geste du renfort
On transmets le travail du morote (« à deux mains », « renforcé », parfois « double blocage », 諸手). C'est l’une des progressions majeures sur la voie de la maturité martiale. Morote, c’est l’union : celle du corps, de l’intention, et du souffle, la faculté d’additionner et de concentrer ses forces dans une action unique, efficace et consciente.
La progression de l’apprentissage de Morote
- Premiers pas : L’élève découvre la notion de « morote » à travers les kihon (bases) : blocages aidés par la seconde main (morote uke), tsuki renforcés, contrôles à deux mains sur l’avant-bras ou le poignet, frappes portées en synchronisation.
- Renforcement de la coordination : Le travail du morote éduque à la dissociation et à la connexion droite/gauche, haut/bas. L’une des erreurs les plus fréquentes chez les débutants est le travail “isolé” d’un membre ; morote rétablit l’harmonie.
- Maturité : Avec le temps, l’élève comprend que morote n’est pas qu’un ajout de force, mais un enrichissement du mouvement, où la main « passive » guide, protège, contrôle ou prépare la main active : c’est l’ouverture du “rendo” (enchaînement fluide).
- Vers l’expertise : L’expert mobilise morote dans chaque déplacement, chaque rotation du bassin (gamaku), chaque application de bunkai. Il sait quand réunir, quand séparer, quand envelopper l’énergie.
Morote dans les kata du Goju-Ryu
- Gekisai Dai Ichi : Morote tsuki (double frappe), premier contact avec le principe d’addition de force, mais aussi d’intention (double protection, double croisement).
- Saifa, Seiyunchin, Shisochin : Nombreux gestes renforcés, saisies, projections ; morote devient outil de contrôle actif, base pour des techniques de luxation, d’étranglement ou de renversement.
- Kururunfa, Suparinpei : Morote comme expression maximale, alternance blocage/saisie/soumission, union des énergies internes et externes.
- Sanchin Kata : Même dans la forme la plus simple, la main ou le poing opposé soutient, guide, protège la technique principale ; l’idée du morote devient subtile et omniprésente.
Lien avec d'autres concepts fondamentaux
- Gamaku : Morote ne fonctionne qu’avec un centre vivant et dirigé. Les deux bras mobilisent la taille pour offrir soutien, stabilité et puissance – la fusion du “bas” et du “haut”.
- Tchinkutchi : L’explosion de force, le “kime”, prend tout son sens lorsque la contraction est synchronisée des deux côtés – le corps devient alors un tout indivisible.
- Muchimi : Les deux mains doivent “coller”, guider, absorber et contrôler l’énergie adverse. Morote, c’est aussi la maîtrise du contact actif : jamais deux mains “pour rien”.
- Rendo : Morote n’est pas la fin du mouvement ; il prépare, relie, anticipe l’enchaînement suivant. Dans la pédagogie Shorei-Kan, c’est la clé de la continuité martiale, jamais un arrêt.
Morote et le Tao du Goju-Ryu
Dans la Voie — le Tao du Goju-Ryu — morote incarne la sagesse du double : douceur et dureté, avance et retrait, attaque et défense en un seul geste. C’est la matérialisation du yin et du yang, deux forces complémentaires plutôt qu’opposées. Morote enseigne à :
- Unir intention et action, souffle et structure,
- Chercher le juste équilibre entre donner et recevoir,
- Comprendre que l’efficacité réelle naît de la communion, non de l’opposition.
Dans l’étude du tao martial, morote rappelle que la force pure n’a d’excellence que lorsque soutenue par la conscience, la vigilance et la capacité à moduler — renforcer ou alléger — selon le flux de l’action.
Préceptes d’enseignements
- Ne cherchez pas la puissance brute dans morote : recherchez la connexion, la précision, la complémentarité.
- Chaque main a un rôle : active et passive, reflet et lumière, attaque et veille ; sans union, l’une affaiblit l’autre.
- Intégrez le morote dans tout votre karaté : Pas seulement un blocage spécial, mais un principe qui colore chaque geste, chaque enchaînement, chaque respiration.
- Soyez attentif, humble et ouvert : Morote, c’est le rappel que personne n’avance seul. Seul, l’élève est vulnérable ; dans l’union, il devient indestructible.
Dans le Goju-Ryu, morote est bien plus qu’une technique : c’est une philosophie. Il incarne la vraie compréhension de la Voie : l’union du corps, du souffle et de l’esprit, la capacité à additionner, soutenir, protéger, relier pour progresser.
Morote, c’est la main du “dur et souple”, la main de l’entraide, celle qui porte et magnifie la tradition d’Okinawa. C’est ce qu'on a reçu de nos maîtres, et que l'on transmet à chaque génération sur la voie du karaté authentique.
