L’esprit du Rendo
On insiste sur l’importance de rendo (連動). Ce terme, souvent traduit par « enchaînement fluide », signifie littéralement « mouvements liés, coordination continue ». Rendo n’est ni une technique ni une posture : c’est la capacité à relier chaque geste, chaque respiration, chaque intention dans une dynamique ininterrompue. Il est le fil conducteur entre la technique et l’esprit, le pont entre le corps et le Tao.
Progression dans l’apprentissage du rendo
- Les débuts – séparation : L’élève commence par des techniques isolées — tsuki, uke, geri — apprises une par une, pour intégrer les fondements mécaniques et structurels.
- Liens élémentaires – kata de base (Gekisai, Fukyu) : Rapidement, on enseigne à relier deux gestes, puis trois, à ressentir comment une technique prépare la suivante. Ici, rendo émerge : il faut que le corps trouve « la route » d’une action à l'autre sans rupture ni tension inutile.
- Maîtrise intermédiaire – kata supérieurs (Saifa, Seiyunchin, Shisochin) : Le pratiquant découvre que chaque défense cache une attaque, chaque blocage prépare un déplacement ou une projection. L’important n’est plus le geste, mais le passage : rendo devient la trame du kata.
- Expertise – intégration consciente (Kururunfa, Suparinpei, applications de bunkai) : L’élève avancé maîtrise les transitions invisibles, l’enchaînement non-anticipé. Chaque mouvement jaillit comme une onde, sans jamais revenir en arrière mentalement : rendo, c’est la liberté martiale incarnée.
Le rendo dans les kata du Goju-Ryu
- Gekisai Dai Ichi/Ni : Premiers enchaînements dynamiques, apprentissage du passage fluide entre blocage et contre-attaque.
- Saifa : Rendo devient vivant à travers esquives, retours, changements d’angle et de rythme — pas de geste “figé”, tout s’enchaîne avec naturel.
- Seiyunchin, Shisochin : Exploration du rendo dans les changements de direction, les alternances entre force/lâcher-prise, attaques multiples.
- Kururunfa, Suparinpei : Les transitions très rapides entre contrôle, saisie, frappe, projection — l’essence du rendo en action martiale supérieure.
“Le kata est le théâtre du rendo. Apprends à ne pas t’arrêter, même dans l’immobilité apparente.”
Liens avec les concepts fondamentaux
- Gamaku : Sans le bassin vivant, le rendo reste “truqué” — c’est la rotation, la mobilisation du bassin qui donne la continuité réelle.
- Tchinkutchi : L’explosion de force au moment juste doit être suivie d’un relâcher permettant à l’action suivante de jaillir sans blocage.
- Muchimi : Coller, suivre, enchaîner — les bras et le tronc guidés sans rupture, toujours prêts à absorber ou restituer l’énergie reçue.
- Morote : Quand les deux mains travaillent de concert, le rendo devient total : elles se relaient, protègent, complètent — rien n’est jamais statique.
- Kaisai no Genri (Principe de décryptage du kata) : Comprendre le rendo, c’est découvrir les applications cachées, les “liens invisibles” entre les techniques qui font la richesse du bunkai.
Rendo et le Tao du Goju-Ryu
Dans le Tao du Goju-Ryu, tout est circulation : dureté et souplesse, attaque et défense, le flux et le reflux.
Rendo incarne ce flux : c'est “l’eau qui coule autour de la pierre”, la capacité à ne jamais s’arrêter, à transformer la difficulté en occasion, l’arrêt en nouvel élan.
Comme le yin et le yang, chaque technique appelle sa contrepartie et se prolonge sans rupture.
“Dans la vie, comme dans le Goju-Ryu, cessez d’agir saccadé — rendez chaque acte partie d’une chaîne, d’un souffle. Là se cache la vérité martiale.”
Préceptes pour cultiver le rendo
- Travaillez lentement d’abord : Sentez chaque passage, chaque lien, rendez-les fluides avant de chercher la vitesse et l’impact.
- Cherchez la connexion dans chaque transition : Le secret du rendo, c’est l’attention portée à “entre les gestes”, là où l’ordinaire ne regarde pas.
- Faites du rendo un état mental : Pas seulement la chaîne corporelle, mais la fluidité de l’esprit, la capacité à improviser, transformer l’action sans rigidité ni peur.
- Transférez le rendo dans la vie : Dans chaque tâche, chaque relation, chaque difficulté, cherchez la continuité, la patience — c’est la marque du vrai karatéka.
Le rendo du Goju-Ryu, transmis de génération en génération, est une clé de la puissance vivante et sereine. Il enseigne la continuité, l’harmonie, la capacité à se relier sans discontinuité, aussi bien dans la technique que dans l’esprit.
C’est la signature du pratiquant mature, du cœur du Tao jusqu’au bout des doigts, du souffle initial au mouvement qui ne s’achève jamais. Celui qui conquiert le rendo conquiert la Voie elle-même.
